« Poésie, voie de l’infini, voie de la plénitude «
L’être humain est face à un abîme existentiel. Ni la cause, ni le pourquoi de la réalité ne peuvent lui être donnés, ne peuvent être trouvés.
Son individualité n’a rien où s’ancrer, où se relier profondément par des mots ou des lois formulées.
Pour l’esprit poétique, chaque réalité particulière est un cristal insondable de la réalité plénière, qui résonne à l’infini, relie à l’infini, à l’indéfini et à l’unité de la réalité à laquelle il appartient pleinement.
Et la poésie est ce langage double, où les mots ne s’épuisent pas sur le sens immédiat mais doivent ouvrir sur la plénitude du réel, relier l’ici et l’infini, l’un et le multiple, l’instant et le sans-temps, ouvrir sur l’unité et l’éternité, nos dimensions profondes.
La poésie qui peut relier des réalités éloignées, créer des images, susciter des intuitions ou des sentiments nouveaux, épouser le rythme du monde, peut ainsi amener à une perception différente du monde, ouvrir à la dimension plénière, mystérieuse de la vie.
La poésie apparaît bien ainsi comme une voie, un chemin où peut s’évanouir un sentiment de manque ou d’isolement, où peut naître un accord au monde et, dans l’apaisement, s’épanouir un sentiment de plénitude. Un chemin où, par l’attention portée aux êtres et aux choses dans leur unité et leur infinité, l’humanité pourrait se réconcilier avec elle-même et le monde qui l’entoure.
La poésie est un langage d’avenir de l’humanité.
Il y a bien, bien longtemps, un poème avait déjà exprimé cette unité, cette unicité de la réalité et par là même son éternité, entrant de plain-pied dans cette plénitude. C’était un poème de Parménide ( V° siècle avant J.C. ) auquel un hommage est rendu ci-dessous :
POÉSIE
Attentive, la poésie pointe le cœur du monde
mais elle sait que ni les mots, ni les lois
ne peuvent l’enclore
Sage, elle sait l’infini, l’indéfini
qui nous traverse, qui est toute chose
Patiente, elle attend l’instant cristal
pour faire éclore le poème
qui ouvrira, nous offrira
la plénitude du réel
Profonde, elle sait notre besoin d’infini
Bienveillante, elle veut l’humanité enfin réconciliée, apaisée
nous ramenant en notre demeure
d’unité, d’éternité
Compatissante, il y a bien, bien longtemps
déjà a-t-elle parlé
et donné, l’unité, l’éternité ( * )
Mais les hommes ne l’ont pas écouté
Ne saisissant pas l’unité
sans fin, ils se sont divisés, affrontés
déchirés, épuisés
Amour infini, dépassant le temps,
elle attend simplement, patiemment
qu’à son cœur
enfin s’accorde
le cœur des hommes
Inquiète, cependant, elle sait que si de leurs cœurs
elle a disparu
alors, à tout jamais
ils seront perdus
( * ) Poème de Parménide
Actuellement dans notre société, la marginalisation extrême de la poésie d’aujourd’hui est malheureusement le révélateur d’une perte importante d’une dimension du réel, et, de fait, d’un mal-être général. L’immédiat, le court terme et la surface ne peuvent évidemment pas suffire à la dimension plénière du réel.
Allant plus loin, des mondes totalitaires, orwelliens, au surgissement toujours possible, s’appuyant sur les nouveautés de « l’Intelligence « artificielle, pourraient contrôler, enfermer la personne, l’être humain dans la prison de limites despotiques, le privant de ses dimensions plénières d’infini, d’indéfini.
La poésie, parce qu’elle exprime, pour une part, l’irréductible, l’insaisissable de la vie, est une des garantes de la liberté de la vie, de la liberté de l’être humain.
Sa disparition marquerait l’avènement d’un monde sans âme, d’esclaves décervelés.
Alain Clastres